Un parcours d’homme !

13.01.13, 13:35
Pit stop en New Zealand du haut du mât © Globe Surfer
Depuis mercredi soir et suite à l'opération de secours menée au cap Horn pour le ravitailler en carburant, Bernard Stamm est hors course. Un coup dur pour le skipper de Cheminées Poujoulat qui n'entame pourtant en rien sa volonté de terminer son tour du monde, avec l'art et la manière. Mais si la compétition s'est officiellement arrêtée après 60 jours d'une incroyable bagarre océanique, le Suisse s'est révélé depuis le 10 novembre dernier, l'un des grands animateurs de la course et ce malgré une longue liste de soucis techniques ou physiques. Retour sur les temps forts de son Vendée Globe et de sa préparation.

Depuis toujours, Bernard Stamm fait figure d'homme à part dans le monde de la course au large. Une image forgée dès ses premiers milles en Imoca, à la barre d'un monocoque construit de ses propres mains et à force de solidarité d'irréductibles passionnés. Quand il lance la construction de sa nouvelle monture en 2010, là encore, il prend un chemin différent. Ainsi décide-t-il de faire appel à Juan Kouyoumdjian pour le dessin et d'en confier la naissance au chantier Décision, en Suisse. En mai 2011, un bateau pas comme les autres, pour un marin pas comme les autres touche l'eau. A l'automne 2011, il s'aligne au départ de la Transat Jacques Vabre avec l'objectif de valider ses choix ambitieux à l'échelle de l'Atlantique. Un test grandeur Nature qui n'aura finalement pas lieu, coupé en plein vol par une rencontre fracassante avec un container. Un chantier de reconstruction occupera l'hiver 2011-2012, limitant de fait les possibilités de s'entraîner et d'éprouver le voilier dans les moindres recoins avant le tour du monde.

 

Une course sur le devant de la scène


Pour autant et après quelques confrontations fructueuses en entraînements avec la concurrence, le 10 novembre dernier, c'est avec l'étiquette de sérieux outsider que Bernard Stamm quitte, en ouvreur, les pontons des Sables d'Olonne. Mais pour lui, si l'objectif est bien évidemment de défendre au mieux les réelles chances dont il dispose, la perspective de vivre, enfin, le chenal dans le sens du retour est la promesse d'une réussite. En guise d'entrée en jeu, il s'offre les honneurs de la casquette de premier leader, au soir du coup d'envoi. Très vite il s'impose comme l'un des hommes forts de la flotte. Un statut qu'il assumera et confirmera à de nombreuses reprises, trouvant place sur le podium, ne le quittant jamais au-delà de la cinquième place, pour mieux y revenir, en tête, le 7 décembre, dans le Sud.

 

L'énergie, le talon d'Achille

Pourtant, dès la première semaine de course, il doit composer avec des préoccupations d'ordre technique. Ainsi, au large du Portugal, après une petite semaine de mer, les supports des hydrogénérateurs présentent-ils les premiers signes de faiblesse et lâchent, contraignant le marin à en faire une de ses priorités. Sans relâche, il s'attèle alors à tenter de réparer, non pas les systèmes eux-mêmes qui remplissent leur office, mais leur fixation au bateau. Un atelier quasi permanent s'installe à bord, sans toutefois entacher les incroyables performances du seul plan Kouyoumdjian de la flotte. Mais, le problème prend vite de l'ampleur et l'incapacité à assurer son autonomie énergétique le pousse à puiser dans ses réserves de carburant pour continuer à utiliser les instruments du bord. Le 20 décembre, le Suisse confie pour la première fois arriver au bout de la quantité de gasoil disponible et s'apprête à lever le pied pour tenter de trouver une nouvelle solution pour maintenir ses hydrogénérateurs dans l'eau. Le 22 décembre, il prend la décision de faire route vers les îles Auckland pour se mettre au mouillage afin de s'atteler à la fixation de ses "fournisseurs" d'énergie en fond de coque ; un chantier délicat mais nécessaire compte tenu de l'amenuisement extrême des ressources du bord. Le lendemain, son ancre dérape sur les fonds couverts d'algues et ne lui laisse d'autre choix que de s'amarrer à un navire scientifique russe arrivé depuis peu. Dans la précipitation et devant l'urgence qu'il y a à éviter au monocoque du risque de collision ou d'aller s'abîmer à la côte, un marin russe monte à bord, sans même que Stamm n'ait eu le temps d'intervenir. Le coup de vent annoncé pour le 24 décembre le pousse à remettre les voiles pour gagner Dunedin, plus au nord, nouvel abri indispensable pour achever les travaux en cours. Le 28 décembre, après deux jours de chantier intense, il reprend le large et enchaîne les journées à pleine vitesse, jusqu'à devenir le plus rapide de la flotte. Le skipper de Cheminées Poujoulat n'aspire alors qu'à une chose, régater de nouveau. Le 6 janvier, à 3h30, le navigateur suisse informe son équipe de sa collision avec un objet flottant non identifié ayant arraché ses hydrogénérateurs. Avec seulement 5% de charge pour les batteries et une quantité infime de carburant à bord, la situation ne laisse guère d'issue. Après trois jours et trois nuits sans quasiment pouvoir dormir, sans outils de navigation et sans moyens de communication, Bernard Stamm passe le cap Horn le 9 janvier et se fait ravitailler en gasoil par son ami Unaï Basurko. Il n'a alors d'autre choix que se de déclarer hors course aux organisateurs du Vendée Globe. Préoccupation quotidienne depuis plus de quarante jours, le système confirme son statut de talon d'Achille du monocoque. Un facteur clé ayant entraîné la fin de la course, qui se sera combiné à un génois déchiré, à un hook bloqué rendant le choix des voiles d'avant limité, à une colonne de winch plus que capricieuse et à tous ces petits ou gros problèmes d'un solitaire autour du monde qui additionnés, mettent les batteries du marin lui-même à plat.

 

Les hommes d'abord !

Mais le Vendée Globe et le parcours de Bernard Stamm sont aussi et peut-être avant tout une formidable histoire d'hommes. C'est ainsi d'abord celle d'un marin courageux et tenace qui n'a d'autre choix, le 8 décembre dernier, que de se limer une molaire cassée. Une expérience douloureuse dont le témoignage filmé fera froid dans le dos. C'est aussi celle d'un homme pour qui le sens marin n'est pas un vain mot et qui n'hésitera pas une seule seconde à sauver son bateau. Un acte responsable qui entraînera une rencontre involontaire avec un autre marin, Rodney Ross, qui pas un instant ne réfléchira avant de faire jouer l'obligation d'assistance stipulée par les règles maritimes internationales et montera sur le pont, avec les conséquences que l'on connaît. Dans ces circonstances, le skipper de Cheminées Poujoulat restera fidèle à ses valeurs et à cette honnêteté qui le caractérise jusqu'au bout de ses bottes. Cette solidarité démontrée dans l'hémisphère Sud gagnera l'ensemble de la flotte, du monde maritime et du grand public, soulevant une déferlante de soutiens pour Bernard. Enfin, cette histoire d'homme trouvera son épilogue dans des retrouvailles entre deux amis au cap Horn et la présence Ô combien rassurante et bienveillante d'Unaï Basurko, marin à la renommée internationale venant lui porter secours et remplir ses réservoirs en gasoil pour le laisser continuer son aventure.

 

Finir le tour...

Aujourd'hui le skipper de Cheminées Poujoulat poursuit sa route, en solitaire vers la Vendée, avec la volonté de finir son tour du monde et de revenir aux Sables d'Olonne, pour lui, pour ses partenaires, pour ses proches et pour tous ceux qui l'ont suivi et soutenu. Il entend également aller au bout de ce magnifique projet RIVAGES, qu'il a initié avec la fondation de famille Sandoz et mené en collaboration avec Océanopolis et l'Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne, le Mini Lab. Comme prévu, il espère boucler sa boucle pour effectuer les analyses des eaux de surfaces du globe. Un nouveau challenge, humain, citoyen, qu'il entend bien relever avec panache, quoi qu'il arrive.

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