Voilà maintenant près de 48 heures que Bernard Stamm et Jean Le Cam ont franchi la ligne d’arrivée de la 3e édition de la Barcelona World Race, signant une victoire magistrale après un peu plus de 84 jours de mer. Quatre-vingt quatre jours durant lesquels les deux skippers de Cheminées Poujoulat ont su partager et mettre en commun leurs expériences au service du bateau afin d’atteindre leur objectif commun de monter sur la plus haute marche du podium de ce tour du monde en double et sans escale. Quatre-vingt quatre jours lors desquels ils ont vécu des moments de franche complicité et quelques galères qu’il a fallu résoudre coute que coute, mais au bout desquels la joie a éclaté.
Forcément, l’accueil à Barcelone a été triomphal autant que magique pour les deux marins. Le premier, déjà vainqueur de l’Around Alone 2002-2003 puis de la Velux 5 Oceans 2005-2006, s’est ainsi offert une jolie revanche sur le sort qui ne l’avait pas toujours épargné des derniers temps. Le second, a décroché sa première victoire autour du globe et devient pour la deuxième fois Champion du monde IMOCA Ocean Masters, grâce à cette première place et celle de la Transat Jacques Vabre 2013 aux côtés de Vincent Riou. Le carton est donc plein. Retour, avec eux, sur les temps forts de cette circumnavigation menée tambours battants.
La victoire
Bernard Stamm : « Au départ, je devais courir cette Barcelona World Race avec mon autre bateau, en double avec Yann Eliès, mais après qu’il se casse, tout s’est arrêté. Le fait de me lancer avec Jean sur l’ancien « Mare » c’est décidé assez tard alors forcément, décrocher la victoire dans ces conditions c’est encore plus savoureux. Quand tu bosses beaucoup, si ça ne paie jamais, à la fin tu te demandes pourquoi tu le fais. Là, nous n’avons pas changé notre manière de faire et nous sommes récompensés. C’est pas mal et aussi, ça enlève un peu de la frustration de la perte de l’autre 60 pieds. »
Jean Le Cam : « C’est ma première victoire dans un tour du monde, et ça fait plaisir. Mieux vaut gagner que pas ! Jusqu’ici, j’avais terminé 2e, 5e et je ne sais plus combien avec Eric Tabarly. Une victoire, c’est forcément une belle récompense sur un exercice aussi dur ce celui-ci. »
Une première partie au contact
B.S : « C’était vraiment sympa parce que c’était assez serré. Nous nous sommes un peu loupés au passage de l’anticyclone des Açores. Du coup, nous nous sommes faits piégés aux Canaries, mais nous avons réussi à revenir. Ensuite, nous avons fait la différence lors du contournement de Sainte-Hélène en faisant l’extérieur. Il fallait que l’on soit sûr de courir plus vite que nos concurrents et cela a été le cas car nous avons eu plus de vent. Après, sous le front, ça n’a pas été sympa mais au moins, ça a été efficace. Nous avons notamment connu deux ou trois jours compliqués, la faute à des vents instables et des trombes d’eau, mais nous avons réussi à faire le trou. De plus, comme nous étions positionnés assez nord, nous n’avons pas été embêtés par la zone d’exclusion des glaces. »
J.L.C. : « L’important était de ne pas se faire piéger en Méditerranée d’entrée de jeu et nous nous en sommes bien sortis, contrairement à d’autres qui sont restés scotchés en mer d’Alboran. Après, nous nous sommes un peu plantés dans l’anticyclone des Açores, au niveau des Canaries mais nous sommes rapidement revenus dans le match. Au large de Salvador de Bahia, Hugo Boss, qui était devant a démâté et a abandonné. Ca a été un premier bouleversement dans la course mais ça fait partie du jeu. Ensuite, nous avons bien négocié le contournement de l’anticyclone de Sainte-Hélène, doublant Neutrogena. Peu après, dans le front, il est parti au sud alors que nous avons opté pour une trajectoire plus nord, ce qui, au final, nous a permis de nous barrer et de creuser l’écart. Il est revenu dans le coup de baston auquel Bernard et moi avons été confrontés puis il a été stoppé dans son élan par un problème de moteur. A ce moment-là, nous avions quand même 300 milles d’avance sur lui, ce qui n’est pas rien, mais il est vrai que ça a été un tournant de la course puisqu’ensuite nous n’avons plus vraiment régaté. »
La dépression tropicale dans l’Indien
B.S : « On la voyait depuis un moment et à mesure qu’on avançait, on se rendait compte qu’il n’y avait pas vraiment de solution, mis à part freiner ou trouver un échappatoire vers le sud, dans la zone d’exclusion des glaces. Le truc certain, c’est qu’il n’était pas sage du tout de se lancer dedans. Ralentir, c’est une décision que je n’avais jamais eue à prendre en course et c’est un exercice qui n’est pas facile. Freiner un bateau au portant, c’est même carrément compliqué ! A ce moment là, nous n’avons toutefois pas vraiment compris pourquoi Neutrogena n’en avait pas profité pour revenir parce qu’il avait les moyens de le faire. Il faudra demander à Guillermo (Altadill) et José (Munoz) lorsqu’ils vont arriver… »
J.L.C : « De toute ma carrière, ça ne m’était jamais arrivé de ralentir pour éviter un phénomène météo. Faut dire, là, c’était une sacrée tempête. Une tempête générée par deux ex-cyclones tropicaux, Diamondra et Eunice. Les fichiers annonçaient 60 nœuds ce qui fait en réalité quelque chose comme 80 nœuds ! Nous n’avions pas d’autre choix que de nous protéger. Perso, moi, naviguer dans 160 km/h de vent, je ne sais pas faire ! Cela étant dit, réussir à diminuer la vitesse du bateau à moins de 8 nœuds, ça a été un vrai dossier ! »
Les pépins techniques
B.S. : « Nous avons connus quelques soucis mais nous avons cependant fait très attention au matériel, du début à la fin. Jean est d’ailleurs très soucieux de ça. Autre atout, il connait bien les bateaux, il sait comment ils sont construits et comment les réparer. De plus, il possède un grand sens pratique qui a été très utile pendant ce tour du monde. Pour certains trucs, comme le hook, il a su apporter des solutions rapides, pour d’autres, comme la girouette, ça a été moi. Sur ce sujet, nous avons été extrêmement complémentaires et cela nous a permis de faire face à toutes les situations que nous avons rencontrées. »
J.L.C. : « Pendant ce tour du monde, Bernard et moi avons fait une vraie collecte d’emmerdements. Nous en avons eu quasiment tous les jours ! Je me souviens qu’un matin, il m’a réveillé pour que je prenne mon quart et qu’il m’a dit que tout allait bien. Je me suis presque demandé si c’était vrai ! L’avantage, c’est que lorsque tu en as tout le temps, tu finis carrément par les banaliser. Sortir la caisse à outil quotidiennement, c’était quasiment devenu normal à la fin. L’un de nos challenges pendant cette course, a clairement été de réussir à réparer tout ce qui cassait. J’avoue que ça m’a bien arrangé que Bernard monte dans le mât à ma place parce que je n’aime pas vraiment ça. Toutes les casses que nous avons connues sont liées au fait que nous n’avons eu peu de temps pour préparer le bateau que nous avons récupéré en pièces détachées six mois avant le départ de la course. »
Le cap Horn, toujours magique
B.S. : « Le Horn, c’est effectivement toujours spécial. C’est un point de passage qui t’oblige à nouveau à naviguer avec autre chose que la météo. Mais surtout, c’est un moment où tu peux mettre le clignotant à gauche et commenter à faire route en direction de la maison. Bref, le Horn c’est le Horn. Ce n’est pas si courant d’enrouler ce rocher là ! Les conditions étaient maniables malgré quelques grains alors c’était sympa ! »
J.L.C. : « Même quand on le franchi pour la cinquième fois, ça reste un moment particulier. Là, nous sommes passés de nuit, à environ 15 milles du fameux rocher. Le bateau marchait vite et il y avait beaucoup de mer. C’est un très bon souvenir pour moi. On est toujours content de laisser le Horn dernière soi parce que le grand sud, c’est franchement long. L’Indien, notamment, est interminable. C’est aussi parce que pour moi, la frontière naturelle du Pacifique est au sud de la Nouvelle-Zélande alors qu’en fait, elle se situe à la latitude de la Tasmanie. Bref, le Horn, c’est perpétuellement magique. Là, c’était la deuxième fois que je le passais en double. La première fois, c’était avec Vincent Riou, pas tout à fait dans le même contexte. »
Une remontée de l’Atlantique presque entièrement au près
B.S. : « Nous avons quitté les dépressions du sud à hauteur de l’Uruguay, par conséquent, nous avons fait beaucoup de route dans les conditions du grand sud. Reste que notre trajectoire jusqu’à l’équateur s’est révélée idéale et très rapide. Nous avons établi un nouveau temps de référence, toutes courses IMOCA confondues, entre le cap Horn et l’équateur ? Ah bon… je ne savais pas, mais c’est une bonne nouvelle ! La traversée du Pot-au-Noir s’est ensuite plutôt bien passée, elle aussi, même si elle nous a obligés à aller assez Est. La suite n’a pas été fantastique parce que l’alizé du nord ne s’est jamais vraiment ouvert et qu’il a fallu gérer une dépression plantée sur notre route mais bon, globalement, ça a été ».
J.L.C. : « Pendant cette remontée, nous avons pris notre plus gros coup de baston de toute la course. Trente-cinq nœuds fichiers étaient prévus et nous en avons ramassé 50. Nous étions avec deux ou trois ris dans la grand voile et nous ne pouvions même pas mettre l’ORC ! Autre chose, nous avons fait du tribord amure quasiment des Malouines jusqu’à Madère. T’imagine ?! Presque trois semaines, plus ou moins au près ! Il se trouve que le Pot-au-Noir était positionné au niveau de l’équateur, ce qui est exceptionnel. Nous l’avons donc passé hyper Est, par 24°30 il me semble. Et puis il y a aussi les algues ! Entre les Kelps et les Sargasses, nous avons vraiment été servis. C’était juste infernal ! En prendre une dans le safran, c’est insupportable surtout ça arrive 30 fois par heure et que ça dure des jours… »
La cohabitation à deux
B.S. : « Je n’avais pas d’inquiétude sur notre cohabitation car nous partions pour les mêmes raisons. Le temps m’a donné raison et notre résultat le prouve. Si j’ai appris un truc de Jean, c’est arriver à naviguer avec une configuration de voile en dessous car dans certains ca, ça va aussi vite, voire plus, que quand on est un peu surtoilé et ça a l’avantage de préserver sérieusement le matériel. Jean est un bon marin. Il y a des choses que nous faisons, l’un et l’autre, différemment, mais le fait est qu’il n’y a pas qu’une seule manière de faire les choses pour arriver à un même résultat. »
J.L.C. : « C’est le premier tour du monde en double que je finis, celui que j’avant attaqué avec Bruno Garcia lors de la Barcelona World Race 2010-2011 s’étant achevé prématurément. A deux, c’est sympa et ce qui est certain, c’est que si nous avions vécu la même course en solo, Bernard tout seul ou moi tout seul, nous n’aurions pas terminé. Monter dans le mât lorsqu’on est en solitaire, ce n’est pas possible. Après, comme dans un vrai couple, nous avons eu des hauts et des bas mais nous nous sommes parfois bien marrés… et nous avons atteint notre objectif commun. Ca c’est bien et c’est la preuve de l’efficacité de notre duo. »
L’arrivée, le temps fort de la course
B.S. : « C’était vraiment top d’arriver dans douze nœuds, sous spi, parce que ce n’est pas très courant. De plus, débarquer à Barcelone, c’est magique parce que c’est beau et qu’il y a plein de monde. Retrouver les gens qu’on aime, c’est toujours un moment extra. Petit à petit, on repasse en mode « civilisation ». Je viens de récupérer mon porte-monnaie et je ne vais pas tarder à rebrancher mon téléphone. La vie reprend son cours. Après trois mois en mer, c’est un sentiment presque bizarre, mais franchement pas désagréable. »
J.LC. : « L’arrivée a vraiment été très belle. Finir à la tombée de la nuit, avec juste ce qu’il fallait comme vent dans les voiles, lay-line sur la ligne, sous spi, avec Barcelone en toile de fond et le W Hôtel rendu tout brillant par le soleil : c’était tout simplement magnifique ! »
La suite
B.S. : « Pour moi, la prochaine grosse course est le Tour de France à la Voile à bord du Diam 24 Cheminées Poujoulat. Pour le reste, je n’en sais rien encore. Ce sont des choses dont il faut que je discute. J’ai une option d’achat sur le 60 pieds. Maintenant, il faut à la fois les moyens et la volonté. Avant de prendre une décision, quelle qu’elle soit, il faut d’abord analyser le paysage de la course au large. Quoi que je fasse, je veux pouvoir être en mesure de régater aux avant-postes. »
J.L.C. : « C’est une bonne question mais ce n’est pas facile de répondre parce que, de toutes les manières, je n’en sais rien. Nous sommes arrivés il y a 36 heures. Pour l’instant, on digère, on discute avec les copains et on profite de Barcelone qui est vraiment une ville extraordinaire, avec des gens gentils et une énergie hors-norme. D’ailleurs, réflexion faite, pas sûr que je rentre en Bretagne (rires) ! »