Le départ était assez spécial en soi vu le nombre de bateaux sur l'eau. Le fait de quitter les pontons tôt et de passer toute la matinée sur l'eau à attendre le départ, a augmenté cette sensation que je vivais un moment différent.
Les conditions du départ étaient excellentes, nous sommes partis avec du vent portant, sans devoir tirer des bords. La bonne étoile du directeur de course peut-être, car on a du mal à imaginer ces cinq différentes flottes tirant des bords ensemble pour passer la marque au cap Fréhel. Le timing concernant mon départ était pas mal, quelques secondes de retard, parce que lors du décompte j'étais occupé à envoyer le spi à l'avant et du coup je n'ai pour le coup pas contrôler le timing que j'avais à la montre. De plus, les pénalités pour départ anticipé étaient vraiment dissuasives. Par contre, j'ai réussi à rester éloigné d'un maximum de bateaux et je n'ai pas été trop gêné.
Nous devions croiser une zone de transition avec des vents faibles juste avant ou au moment du passage de Fréhel. Nous l'avons eu assez tôt, ce qui a redistribué un peu l'ordre du départ. Le vent n'a fait que de tourner avec nous à mesure que nous avancions vers la pointe de la Bretagne, comme s’il nous accompagnait vers la sortie, ce qui nous a permis de garder le spi jusque tard dans la nuit.
Première alerte de taille, lorsque j'ai voulu descendre la chaussette pour affaler le spi pendant la première nuit. IMPOSSIBLE.
J'ai essayé plusieurs choses, par contre j'avais devant moi les cailloux de l'Aber Wrac'h, je n’avais donc pas beaucoup de temps à disposition. Je me suis finalement résolu à affaler le spi comme on le fait sur un classe 8 ou sur un figaro. J'ai réussi la manip sans casse et juste à temps pour pouvoir changer de cap. Tout ça dans une nuit d'encre, évidemment, ça commençait fort.
Une fois le gennaker en place, il était temps de faire une bonne session de météo pour pouvoir faire les choix de route adéquates au changement de cap à Ouessant. Résultat : OPTION NORD, sans trop d'hésitation.
Le matin, bonne nouvelle, le travail de la nuit a payé, je suis en tête, le bateau en bon état et les choix confirmés et arrêtés. La suite ne s'annonçait pas forcément agréable. Beaucoup de près dans de la mer formée, beaucoup de travail pour rester au contact. Le près n'est pas l'allure préférée du bateau du fait d'un choix de disposition de ballasts typé reaching ou portant. Mais point rassurant : le près ne sera agréable pour personne.
À mesure de notre descente dans le golfe, on a pu voir se dessiner les choix des différents bateaux et du coup la configuration globale de la course. Tout se passait plutôt pas mal pour moi, j'arrivais à rester au contact de Thomas Ruyant et Sam Manuard.
Juste avant la casse, j'étais a vue de Vecteur Plus. Nous étions le troisième jour de course, j'étais très fatigué, trempé et m’était trop peu nourri, mais j'étais content du bon déroulement des opérations. Je suis sorti de la cabine pour me réinstaller à la barre et là je m'aperçois qu'avec la barre dans l'axe, l'électronique indiquait beaucoup trop d'angle de barre. Pas de panique, cela pouvait être dû à plusieurs choses. J'ouvre le capot au fond du cockpit qui donne sur le système de fausse mèche et palonnier de pilote et je m'aperçois que la fausse mèche est cassée en torsion!!????
Une seule explication, le stick de barre normalement croché sur la barre s'est délogé de son emplacement avec un coup de rackette du bateau et est venu se coincer dans la barre d'écoute, pendant que le pilote continuait à forcer sur la fausse mèche pour faire tourner la barre. La course a tout de suite pris un autre visage. Au près, il est possible de coincer la barre dans l'axe et se diriger en réglant les voiles, mais ce n'est possible qu'au près et dans du vent stable. À première vue, impossible de faire une réparation rapide et assez fiable pour continuer la course. Il me restait deux options, continuer sur les Açores si la météo et les prévisions de réparation de fortune le permettaient ou revenir en arrière sur la Corogne, ce qui me faisait presqu'à coup sûr faire une croix sur le Rhum.
Une grosse pointe de désespoir c’est installé sur Cheminées Poujoulat, avec toute la bonne volonté du monde je ne voyais pas comment faire quelque chose de costaud. A cela c’est ajouté la colère et la fatigue. La première décision tombe : je pouvais continuer un peu au près, prévenir mon équipe, manger et dormir, histoire de réfléchir à l'endroit.
Après la sieste, j’ai fait un petit coup rapide de météo et j’ai commencé à dialoguer avec mon équipe, photos à l'appui. Le plus urgent ? Passer le palonnier des pilotes au-dessus de la cassure pour que le pilote agisse directement sur la barre. Je fais ça assez facilement, par contre il n'y a pas de trou pour l'axe, du coup le palonnier ne tiens que par serrage. Cela ne tiens que cinq minutes.
D’après mes pros du composite à terre, l’objectif est de coller le palonnier à la colle époxy après avoir copieusement rayé le tube et l'intérieur du palonnier et d'intercaler de la petite âme de kevlar résinée qui sera serrée entre les deux pièces. La réparation est reportée au lendemain matin à la lumière du jour.
Le matin, après avoir fait la météo, je décide de continuer sur les Açores. Mon équipe se charge de préparer une pièce pour faire une réparation rapide à Ponta Delgada sur l'île de San Miguel.
Un des problèmes à traverser, c'est l'anticyclone, parce que ce que mes concurrents cherchent à éviter en passant au nord ou au sud, et bien c'est cette bulle qui est sur ma route. Je m'attelle à la réparation, c'est évidemment dans un endroit confiner, difficile d'accès et à trente centimètre de la jupe arrière et de l'eau. Déplacer le palonnnier et le coller en place n'a pas été trop dur, par contre en faisant ça je me suis rendu compte que la fausse mèche était en train de se casser en deux. J'ai rapidement couper une série de jonc dans une latte de grande voile, ensuite je les ai sciés dans le sens de la longueur pour pouvoir les disposer tout au tour de l'axe comme une attelle. Pour le mettre en place j'ai affalé les deux voiles pour qu'il y ait le minimum d'effort sur la barre, puis j'ai serré en place les joncs avec de la bande de contension que j'ai trouvé dans la pharmacie (je n’ai plus le droit de me fouler une cheville). Puis une surliure par dessus a fini de serrer le tout en place. J'ai re-hissé les voiles, fait une petite génuflexion pour être sûr, le bateau ne s'est arrêté que 6 minutes. La réparation bouge dans tous les sens mais semble bien vouloir tenir. Il était temps parce que le près appuyé a fait place à du vent instable et amener à tomber complètement. J'ai fais pas loin de 300 miles avec la barre amarrée au centre en restant proche des vitesses cibles... Ce ne serait pas si mal ,si la route n'était pas aussi pénalisante.
En ce moment j'ai traversé la bulle anticyclonique, la réparation tiens toujours. Il reste un peu moins de 300 miles pour rejoindre Ponta Delgada où vont arriver Jeff et Pierre avec la pièce de rechange.
Je n'ai pas encore bien regardé la météo qui m’attend quand je repartirai des Açores, par contre je suis franchement très déçu que la course se soit déroulée comme ça. J'avais une bonne carte à jouer. Là, ça va être dur de revenir même sur le gros de la troupe. Enfin, on verra. Elle était bien partie pourtant...
A bientôt
Bernard